dimanche 19 août 2012

3615 Peace and Geek

Aujourd’hui, c’est dimanche, comme chaque dimanche, et le 3615 vous propose de vous pencher sur une nouvelle facette du jeu vidéo. Dehors il fait beau, vous n’avez pas à aller au travail, et le temps est propice aux amours champêtres, évoquant les bluettes printanières et les idylles naissantes. Car en effet, il y a deux sortes de jeux vidéo, ceux avec des idylles, et ceux dans lesquels il n’y en a pas. Le jeu vidéo, tout comme le cinéma ou la littérature est un média vecteur d’émotions. Ainsi, il n’est pas rare que les développeurs décident d’introduire au sein de leur œuvre quelques délicates intentions amoureuses destinées aux joueurs. Parce que dans le monde dans lequel nous vivons comme dans l’imaginaire artistique, l’amour persévère à résider au sommet de ce que l’homme espère trouver un jour. Il n’a donc guère tardé à ce que le jeu vidéo s’accapare lui aussi cette sensation trouble et tumultueuse.

Partant de la base d’un postulat héroïque, le jeu vidéo, à l’instar du cinéma, a souvent choisi comme idée de départ le sauvetage de son amour tant aimé afin d’installer un contexte émotionnel permanent. L’échec de la quête devient alors la perte définitive de sa bien-aimée, réduisant à néant l’espoir de sauver sa dulcinée et mettant alors fin à des années d’affection passionnelle, tandis que la réussite procure une sensation de bien-être et de bonheur, puisque l’élue de son cœur nous est enfin revenue, sauvée de par nos mains. Nintendo s’est posé maître en la matière, usant jusqu’à la corde un prétexte vidéoludique qui ne sert que de motif à des jeux plus ou moins ambitieux, mais finalement peu axés sur l’émotion que pourrait provoquer cette idylle. Depuis plus de 25 ans, et malgré quelques infidélités, Mario ne cesse d’aller secourir la Princesse Peach afin de lui prouver ses sentiments à son égard. Ce à quoi, il n’obtient comme uniques récompenses que quelques piètres baisers tout juste dignes d’un badinage pré-adolescent. En amour comme en jeu vidéo, la gratification n’est pas forcément à la hauteur de nos espérances de godelureaux naïfs que nous sommes. Il en est de même pour Link avec la Princesse Zelda. Quelle n’a pas été la frustration de milliers, que dis-je, de millions de joueurs de voir arriver la fin d’un des opus sans que rien ne laisse réellement présager une aventure entre l’elfe vêtu de vert et la jouvencelle tant convoitée. Pourtant, Nintendo a changé la donne avec le dernier épisode en date, Skyward Sword, nous dévoilant un aspect plus canaille de la demoiselle, évoquant alors un flirt adolescent et son envie de passer à la vitesse supérieure, prouvant à tous que le mutisme et les oreilles pointues n’empêchent en rien d’être séduisant. Surprenant au premier abord, le jeu en devient plus attachant et véhicule alors des émotions plus vigoureuses chez le joueur. Parce qu’en dépit d’un univers souvent enfantin, ces jeux offrent à vivre depuis plus d’un quart de siècle des idylles bien présentes dans la culture commune, bien que jamais représentées, laissant alors libre cours à l’imagination des joueurs entre chaque opus. On murmurerait même que Luigi aurait une liaison avec la Princesse Daisy, le coquin !


Variation plus sombre sur le thème du sauvetage de l’être aimé, Shadow of the Colossus nous met dans la peau d’un jeune mâle dont la bien-aimée repose sans vie. Bien décidé à réanimer sa belle, le jeune et frêle guerrier que l’on incarne se lance dans une quête aussi dangereuse que déchirante. Le joueur n’est alors plus simple spectateur d’une idylle quasi inexistante, il devient le héros de cette épopée romanesque et passionnée dont la puissance émotionnelle n’a d’égal que la dimension onirique qui émane du jeu. D’un postulat au potentiel bouleversant déjà assez intense, s’ajoute un univers empli de poésie et d’oiseaux qui s’envolent. De quoi émouvoir même les plus endurcis qui considèrent Call Of comme le paroxysme du développement d’un univers lyrique, malheureux  primitifs qu’ils sont. Parce que finalement, risquer sa vie afin de pouvoir redonner la sienne à son amour perdue, n’y a-t-il pas plus belle preuve d’affection en ce monde ?

P’tit gras- C’est complètement niais ce que tu viens de dire !

Je sais, mais il faut bien satisfaire notre public féminin aussi.

Shadow of the Colossus

Dante’s Inferno propose un autre aspect de ce thème, puisque le héros cherche à récupérer sa femme prisonnière des Enfers. Basé sur des grands récits littéraires aux univers uniques, tels que ceux d’Ovide ou de Dante, le jeu n’est finalement qu’un simple beat’em all bourrin, copiant sans vergogne la recette de God of War, mais néanmoins nourri par une histoire d’amour poignante.

Plus récemment, l’idylle s’est faite sombre et dérangeante. Essayant encore de sauver une jeune demoiselle, atteinte d’un mal dévastateur, le héros de Pandora’s Tower devra récupérer des cœurs de monstres afin de la soigner. Sauf qu’ici, l’amour n’est pas présent immédiatement. L’amour se crée, l’amour se façonne, l’amour se pétri comme une pâte informe dont le joueur démiurge aurait à sa guise le choix de la structure. Ainsi, c’est au joueur de décider d’instaurer ou non une relation entre les deux protagonistes. Une satisfaction qui conviendra à certains dont le principe de forger le dénouement de l’histoire est un ravissement. Le joueur sans âme pourra ne pas se plonger dans l’aventure idyllique des deux personnages, se contentant d’aller tuer sauvagement des monstres par simple plaisir viscéral, aussi cruel qu’il est au fin fond de son être, alors que le joueur plus délicat et réceptif fera son possible afin de faire naître au sein du jeu une histoire romanesque et émouvante, digne des plus grands chefs-d’œuvre de la littérature romantique. Eh oui, les jeux vidéo ne sont pas uniquement remplis de violence gratuite et de démembrements sanglants, mais aussi de moments d’émotions sujets à faire verser quelques larmes aux joueurs.

P’tit Gras-Ouais, enfin, les jeux que t’as cités sont quand même assez violents. Dans Pandora’s Tower, on arrache le cœur de monstres, tu l’as dit toi-même, et Dante’s Inferno, c’est quand même sacrément gore. Alors tes amourettes toute mignonnes et ton argumentaire élogieux sur la beauté des jeux, c’est pas très convaincant.

Oui, mais c’est l’amour voyons !

P’tit Gras-Ben l’amour, je veux bien que ce soit courtiser une fille, prendre un verre, et aller plus loin, mais tuer des monstres à coups d’épées, c’est pas de l’amour ça.

Diantre ! N’as-tu donc jamais été amoureux misérable paltoquet ? Ne connais-tu donc pas ce sentiment si fragile et éphémère, et pourtant omniprésent ? Ne sais-tu donc pas ce que l’homme est capable d’accomplir lorsqu’il s’agit d’amour ? Que ne ferais-tu pas par simple affection pour une demoiselle en détresse ou une amante à sauver ?

P’tit Gras-Ben j’irais pas arracher des cœurs à des monstres en tous cas. D’une c’est dangereux, et en plus, ça doit être salissant. Acheter un bouquet de fleurs, c’est déjà bien assez comme ça.

Et que se serait-il passé si le héros de Shadow of The Colossus s’était contenté d’un bouquet de fleurs au lieu de tuer des colosses ? T’y as pensé à ça ?

P’tit Gras-Ben non.

Alors tu fermes ta gueule et tu me laisses finir !

Pandora's Tower

Cependant, l’amour se vit à deux. L’amour n’est pas uniquement un acte de donation et de sacrifice qui contraindrait l’un à éternellement sauver l’autre. Non, c’est bien plus que ça. Ainsi, certains jeux vidéo, au lieu de faire de l’idylle la quête principale d’un héros, en font un élément scénaristique majeur, jouant sur les sentiments des personnages et provoquant moult émotions chez le joueur. La série Final Fantasy, avec ses personnages divers et variés se renouvelant sans cesse, a pu à de nombreuses reprises développer des intrigues amoureuses au fur et à mesure des épisodes. Dans Final Fantasy VII, ce sont les non-dits, les sous-entendus, et la non réalisation de ces amours présentes, au grand regret des fantasmes les plus fous des joueurs, qui marquent le jeu, au point de voir naître plus tard, dans d’autres jeux estampillés Final Fantasy VII, un développement plus en profondeur de ces bluettes vidéoludiques. Final Fantasy VIII va encore plus loin, puisque ce sont les deux personnages principaux qui sont directement concernés. Durant toute l’aventure, le joueur n’aura pour seule aspiration que de voir cet amour se concrétiser entre le solitaire Squall et l’exubérante Linoa. Le soulagement n’en est que plus grand lorsqu’à la fin du jeu un baiser empreint d’émoi arrive enfin, touchant au plus profond les joueurs. Parce que oui, je le sais, toi qui as joué à Final Fantasy VIII, tes yeux se sont humidifiés à la vision de cette scène forte en émotion. Mais tu n’as pas à en rougir, parce que le propre de l’homme n’est-il pas la compassion et l’empathie ? Même si là, il ne s’agit que d’un jeu vidéo, inutile d’en faire trop tout de même. C’est toutefois avec Final Fantasy X que l’idylle se veut plus complète et saisissante. L’insupportable Tidus et son rire horripilant connaîtra la grâce et le plaisir de l’amour auprès de la jeune Yuna, qu’il est censé protéger. L’émotion est constante d’un bout à l’autre de l’aventure, et le dénouement n’en est que plus tragique et déchirant lorsque l’on apprend finalement que Tidus est en réalité issu du rêve de Sin, la grosse méduse informe, et qu’il est contraint de disparaître après l’avoir terrassée. Emouvant certes, bien que tiré par les cheveux. Mais au final, qu’apporte cet élan de beauté sentimentale et de mièvrerie fascinante ? Un apport scénaristique peu profitable au jeu dans son ensemble, qui ne renforce en rien l’aspect jeu de rôle du titre. Mais voilà, lorsque l’on s’attarde sur les ventes, les trois épisodes de la série à s’être le mieux vendus sont ceux cités préalablement. L’amour naïf et innocent auquel on croit sottement n’a donc pour seule motivation qu’une insatiable envie de s’en mettre plein le porte-monnaie. Qu’à cela ne tienne, le joueur se prend au jeu et l’émotion de remplir son portefeuille pour l’un se transforme aisément en émotion d’accomplir un acte d’affection sincère et authentique pour vous.

Final Fantasy X

D’autres jeux développés dans des buts hautement moins lucratifs ont aussi vu le jour sur nos consoles, sans pour autant être dénués de toute idylle évocatrice de sentiments révélateurs d’une certaine émotivité chez le joueur. C’est le cas d’Odin Sphere, sorti sur Playstation 2 en 2008, alors que les consoles Next-Gen règnent sur le marché depuis deux ans déjà. Nous faisant incarner cinq personnages, et par la même occasion cinq points de vue différents, le titre privilégie avant tout deux des protagonistes afin de mieux les incorporer dans une histoire d’amour captivante. Alors que rien ne prédestine les deux adversaires à s’aimer éperdument, en dépit d’un mariage forcé, l’affection va peu à peu pointer le bout de son nez avant d’aboutir sur une idylle grandiloquente. Encore une fois, l’ajout de cette histoire à l’eau de rose n’apporte rien à la sensation de jeu pure et ne se veut que transmission de diverses émotions vivaces chez le joueur innocent et attendri contre son gré. Mais une fois encore, la recette est efficace. Alors pourquoi se priver d’une telle gourmandise, aussi sucrée soit-elle, puisque même ceux qui ne l’avouent pas ont été affectés par cet élan de généreuse tendresse et d’amour vivifiant ?

Odin Sphere

L’amour dans les jeux vidéo, c’est beau, c’est envoutant et c’est admirablement charmeur. Mais le véritable amour des gamers, n’est-il pas celui qu’ils portent à une console, un jeu, ou bien un héros ? Pourquoi l’amour vidéoludique ne devrait-il exister qu’au sein même de l’univers virtuel dans lequel on évolue ? Ces idylles inhérentes au milieu n’ont-elle pas le droit à un développement plus grandiloquent et ancré dans notre réel bien présent ? Certains développeurs ne mettent-ils pas tout leur cœur afin de créer une œuvre qui ravira petits et grands ? Ainsi, la véritable idylle ne demeure-t-elle pas celle qui subsiste entre un créateur, un jeu et un joueur ? Peut-être. Après tout, qui suis-je pour connaître la réponse ?

Toi aussi, jeune fougueux candide, n’as-tu pas senti poindre durant cette chronique l’envie de partager tes sentiments avec un être qui serait prêt à ressentir la même chose à ton égard ? Alors qu’attends-tu ? Pose donc cette manette, éteins donc cet écran, laisse-toi frapper par la foudre miraculeuse qui fera vaquer ton âme à la découverte d’émotions inattendues et follement jouissives. Laisse-toi porter par cet irrationnel besoin de vivre que tu n’es finalement pas apte à contrôler. Vis donc, et n’entrave en rien ce désir maladif qui t’obnubiles sans même que tu t’en rendes compte. Car finalement, Rousseau ne disait-il pas : « Aimer et être aimé sera la plus grande affaire de toute notre vie ».

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